Actu du Fauve- Taïwan et Hong Kong, les autres visages de la BD chinoise
Le mercredi 08 avril 2015 à 15h04
Séparés par l'histoire du destin de la Chine continentale, Taïwan et Hong Kong ont vu évoluer une culture graphique indépendante, qui peu à peu se fait découvrir du public français.
La différence entre la BD chinoise, la BD taïwanaise et la BD Hong-Kongaise ? Selon Aho Huang, le responsable de la délégation Taïwan au 42e festival d'Angoulême, elle se trouve dans la démarche des auteurs. « En Chine, les auteurs demandent à leur éditeur ce qu'ils doivent faire. À Hong Kong, ils veulent vivre de leur travail avant tout. Et à Taïwan, ils veulent faire de l'art. Ils veulent que leur œuvre soit d'expression personnelle, unique. »
La formule est lapidaire, mais résume assez bien les différentes tendances. Une Chine continentale avec un public potentiel d'un milliard de lecteurs, mais assez peu de liberté de ton, Hong Kong avec ses BD produites à la chaîne pour un marché spécifique, et Taïwan la rêveuse...
Nicolas Finet, responsable éditorial et coordinateur Asie du festival d'Angoulême, confirme : « Taïwan et Hong Kong sont des territoires qui n'ont pas évolué sous contrôle. La liberté de ton y est plus grande. Il n'y a pas de tabou, pas de verrou. Et à Hong Kong, il y a une vraie tradition de la BD d'action, assez semblable à leurs films de Kung Fu. Et aussi un traitement graphique propre, avec des codes graphiques spécifiques. » On n'y retrouve pas les grands yeux comme dans le manga japonais, par exemple.
« Pas de style taïwanais reconnaissable »
Taïwan quant à elle, se démarque par une absence totale de codes graphiques, ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse. « À Taïwan, on a des BD qui viennent de partout : Japon, Chine, USA... ça influence les auteurs, et ça ouvre des possibilités immenses en terme de création », détaille Aho Huang. « Mais du coup, il n'y a pas un style taïwanais reconnaissable, contrairement à la Chine ou à Hong Kong. » Et pas non plus un marché immense, même si l'île compte 23 millions d'habitants. « Le Japon et la Chine sont les marchés les plus importants. Le Japon a beaucoup influencé les artistes taïwanais. Tous veulent percer là-bas. Mais c'est très difficile. Le marché chinois est plus facile culturellement et linguistiquement. Les quelques auteurs les plus connus à Taïwan sont d'ailleurs aussi ceux qui ont réussi à bien percer en Chine. » Confrontés à ce manque relatif de débouchés, les auteurs se tournent donc vers de nouveaux horizons. « Un phénomène intéressant, c'est de voir de jeunes créateurs taïwanais qui essayent d'aller voir plus loin – et donc vers l'Europe, par exemple ! Ils essayent d'y présenter leurs œuvres, et de faire des histoires qui parleront à des Européens, pas seulement à des Taïwanais. Et il y a aussi de plus en plus de jeunes auteurs qui vont essayer de participer à des concours internationaux. »
Des histoires qui parlent à des Européens ?
Au dernier festival d'Angoulême, on pouvait par exemple rencontrer Li Lun-Chueh, qui dans son histoire Les martyrs de Formose, étudie l'histoire de Taïwan sus un angle nouveau.
« Le point de départ de ce travail, c'était de parler de Guo Xing Ga, qui est présenté dans nos manuels scolaires comme le sauveur de la nation qui a mis les hollandais dehors », explique-t-il « Mais je voulais changer de point de vue. Je voulais plutôt partir du point de vue des Hollandais, voir comment ils avaient vécu cette époque. J'ai utilisé des documents laissés par les Hollandais à l'époque. Pour les Hollandais, l'occupation de Taïwan était légale et légitime, suite à la guerre contre la Chine. Et Guo Xing n'était évidemment pas un héros, mais un envahisseur. Et de la même façon, lui ne voulait pas sauver Taïwan : en combattant les Hollandais à Taïwan, il voulait sauver la Chine à Taïwan. Du coup, d'un point de vue objectif, Guo Xing Gua était un étranger à Taïwan. Et il est peu probable que quand il est mort, il se soit considéré comme un héros, puisqu'il n'avait réalisé aucun de ses objectifs. Il devait se considérer comme un perdant. Mais l'histoire a revisité cela. La dynastie mandchoue l'a considéré comme un héros, pour avoir tenté de mettre dehors les Hollandais. Nos manuels scolaires taïwanais le considèrent comme un héros nationaliste. Et comme il est né au Japon, les Japonais aussi le considèrent comme un héros. Il est à peu près sûr qu'il n'avait jamais envisagé cela ! Guo Xing Ga était surtout le plus grand pirate asiatique de l'époque... La conclusion de mon histoire, c'est que chacun s'est considéré comme étant l'occupant légitime de l'île, alors que tous étaient des étrangers. Et aujourd'hui encore, on peut dire que l'on est tous des descendants d'étrangers »
Autre approche, celle de Kiya Chang, qui avec son Promenade dans le nord de Taiwan, a choisi de raconter l'histoire d'un personnage occidental explorant l'île de Taïwan. « Je suis née dans une famille de cultivateurs de thé », explique-t-elle. « J'ai choisi de créer une historie autour d'un marchand anglais, celui qui a popularisé le thé taïwanais Oolong en Occident. C'est un récit de voyage dans l'île, d'exploration, d'aventures... »
Ce genre de bande dessinée visant un public international est-il amené à se développer ? « Hong Kong et Taïwan, aujourd'hui, éprouvent le besoin d'exister au niveau international », explique Nicolas Finet. « Et c'est pour cela que l'on les retrouve sur le festival de bande dessinée. Taïwan est au festival depuis quatre ans, et Hong Kong, ça fait déjà une dizaine d'années qu'on travaille avec eux. » Et un jour, peut-être que les manhua chinois, Hongkongais ou Taïwanais vendus en France seront aussi divers que les mangas japonais...
Lisez le premier volet de cette approche de la bande dessinée asiatique avec La Chine, un territoire infini de bande dessinée.
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