"UN CHANGEMENT DE PARADIGME" : L'ÉDITO DE STÉPHANE BEAUJEAN

Le samedi 18 novembre 2017 à 12h45

L'ÉDITO DE STÉPHANE BEAUJEAN DIRECTEUR ARTISTIQUE DU FESTIVAL

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Un changement de paradigme, voilà ni plus ni moins la situation que traverse le monde de la bande dessinée depuis une quinzaine d’années : adaptations cinématographiques en série, explosion de foyers émergeants dans des pays auparavant dépourvus de culture du médium, multiplication des genres, des styles, des publics, des croisements culturels et des métissages formels… Dans ce paysage changeant, la France occupe une place unique. 

L’espace francophone est en effet le seul des trois grands foyers historiques à s’être très tôt intéressé aux créations étrangères, à les importer et à les traduire. Dans le même temps, et à de rares exceptions, les éditeurs américains et japonais s’intéressaient exclusivement à leur création locale. C’est ainsi, le temps aidant, que la France est parvenue à cristalliser la plus riche des propositions de lecture, et que son marché est devenu l’un des laboratoires formels les plus exaltants.

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Assurément, le temps de la légitimation est dépassé. Après avoir, des années durant, milité pour faire entrer le 9e art dans le giron des formes d’expressions respectées et respectables, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, l’événement de référence en France, doit assumer son rôle : il est devenu le seul endroit au monde où l’ensemble de la production internationale, passée, présente et dans une certaine mesure également à venir, se croise. C’est pour cette raison qu’il peut prétendre au titre de plus important hub international de ce médium et qu’il doit continuer de capitaliser sur des acquis historiques afin de s’ériger, chaque année, comme la vitrine de la création contemporaine la plus complète possible. 

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L’événement, cette année encore, s’inscrit dans cette perspective en agrandissant l’espace accordé à la création japonaise, la plus prolixe de la planète. Une démarche qui entre en synergie avec l’actualité des relations franco-japonaises, alors que le Japon lance l’an prochain un programme, Japonismes 2018, destiné à célébrer 160 ans de relations diplomatiques entre nos deux pays. Une récente étude de l'institut GfK* invite par ailleurs à penser que les amateurs de mangas sont ceux sur lesquels l'édition francophone doit porter en priorité ses efforts pour recruter son lectorat de demain. 

C’est dans ce contexte, que pour la première fois en Europe, trois grandes expositions sont consacrées à des créateurs japonais de premier plan : Osamu Tezuka, le Hergé japonais, Naoki Urasawa, le chantre du récit de genre moderne, et Hiro Mashima, l’une des grandes stars de la bande dessinée pour la jeunesse. Plusieurs centaines de planches originales, toute la beauté et la diversité plastique de la création japonaise, traverseront ainsi les océans pour venir s’exposer à Angoulême.

Autour de ce socle, seront mis à l’honneur Cosey, Grand prix 2017 et précurseur d’une forme littéraire de récit ; Marion Montaigne, qui désacralise l’explication scienti que par un trait volontairement spontané ; Emmanuel Guibert, lauréat du Prix René Goscinny 2017, virtuose du dessin et conteur humble de la vie humaine ; Jacques Martin, créateur d’Alix, grande icône classique qui a fait les beaux jours du journal Tintin ; Zep, créateur de Titeuf, héros pour la jeunesse le plus transgressif de ces 25 dernières années ; Gilles Rochier et ses portraits incarnés de la banlieue d'hier et d'aujourd'hui ; Oriane Lassus, lauréate du concours Révélation blog en 2011; ou encore l'exposition Venise sur les pas de Casanova,où le célèbre personnage fera dialoguer, autour de la Cité des Doges, la peinture du XVIIIe siècle avec des auteurs de bande dessinée contemporains ; enfin, le Festival présentera une exposition dédiée à l'auteur singapourien Sonny Liew.

Faire se côtoyer différents styles, genres, pays, auteurs, lecteurs, et accueillir la bande dessinée de demain, tel est le projet du Festival pour les années à venir. Un projet qui s’inscrit dans la durée mais repose finalement sur un concept assez simple : la diversité est essentielle à l’humanité, donc à l’Art lui même. Et réciproquement. Alors, apprenons ensemble à étendre nos horizons de lecture.

Stéphane Beaujean

*Étude de l'institut GfK, janvier 2017