Yoshihiro Tatsumi, 1935 - 2015
Le mercredi 11 mars 2015 à 15h49
Créateur majeur de la bande dessinée mondiale, le grand auteur japonais, fondateur du gekiga, vient de disparaître.
Une légende du manga vient de disparaître : Yoshihiro Tatsumi s’est éteint le 7 mars à près de 80 ans, au terme d’une vie bien remplie presque totalement dédiée à la bande dessinée.
Né au Japon à Osaka le 10 juin 1935, Tatsumi s’intéresse au manga très tôt, dès le début des années 50, et décide de s’y consacrer professionnellement après avoir rencontré Osamu Tezuka. Lancé dès 1952 par sa collaboration avec la maison d’édition Tsurushobô, il se cessera plus de publier, produisant une œuvre considérable dont les premiers débouchés sont les librairies de prêt et les bibliothèques ambulantes, alors très nombreuses dans le Japon encore convalescent de l’après-guerre.
Quoique les origines de son parcours d’auteur s’inscrivent dans le registre d’un manga classique largement inspiré par les créations de Tezuka, l’œuvre de Tatsumi reste durablement associée à l’idée de rupture. C’est lui en effet qui en 1957, avec une histoire intitulée Noire tempête de neige, fonde ce qu’il nommera le gekiga : une forme de bande dessinée qui, en opposition aux préoccupations enfantines ou familiales qui s’imposent aux auteurs de l’époque, choisit de s’enraciner dans le réel et de se faire l’écho de thématiques plus adultes, fut-ce au prix d’une certaine noirceur.
Le gekiga fera immédiatement école. Plus d’une décennie avant qu’on ne parle, en Occident, de l’éclosion de la bande dessinée adulte, Yoshihiro Tatsumi et la poignée de confrères qui lui a aussitôt emboité le pas inventent une forme de manga enfin débarrassé de ses contingences puériles. Les histoires parfois dérangeantes mais toujours réalistes de Tatsumi convoquent sans concession sexe, lâchetés, pauvreté, hypocrisie ou humiliations, mais ce sont elles, bien sûr, qui continuent aujourd’hui encore à faire référence.
Parmi les centaines de récits publiés par Tatsumi au fil d’une carrière longue et prolifique, mais pas toujours couronnée dans son pays du succès auquel il aurait pu prétendre, une partie est parvenue dans le monde francophone grâce à l’engagement d’éditeurs impliqués dans la reconnaissance de son importance, comme la revue Le Cri qui tue dès la fin des années 70 ou, plus près de nous, Vertige Graphic et Cornélius. C’est ce dernier qui publie notamment le dernier opus magnum de Tatsumi, Gekiga hyôryu (soit « un rescapé du gekiga », traduit en français par Une vie dans les marges), une somme autobiographique qui apparaît aujourd’hui comme le testament artistique du mangaka.
Yoshihiro Tatsumi s’était déplacé au Festival d’Angoulême dès 1982, en même temps que son ancien mentor Tezuka, pour tenter, un peu prématurément sans doute, d’y faire découvrir le gekiga aux lecteurs européens. Il y avait à nouveau été reçu lors de l’édition 2005 du Festival, et récompensé cette fois par un Prix Spécial. Parmi les autres récompenses importantes qui lui avaient été attribuées, mentionnons le Prix Culturel Osamu Tezuka en 2009 au Japon, un Will Eisner Award à la convention américaine de San Diego en 2010 et enfin, au Festival d’Angoulême encore, le Prix Regard sur le monde en 2012 pour Une vie dans les marges.