Interview d’Aurélie Neyret et Joris Chamblain, lauréats du Prix Jeunesse pour les Carnets de Cerise

Le mercredi 09 juillet 2014 à 15h59

« Quand on écrit pour la jeunesse, on aide l’enfant à grandir et on se doit de le faire dans un contexte rassurant. ». Le Fauve Jeunesse a été décerné cette année à Joris Chamblain et Aurélie Neyret pour leur album Carnets de Cerise T2 - Le Livre d'Hector aux éditions Soleil.

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"Les Carnets de Cerise" © Joris Chamblain et Aurélie Neyret / Soleil

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Nous vous proposons un entretien avec les auteurs de la série dont le 3ème volume devrait sortir en fin d’année.

Vous avez remporté le Prix Jeunesse au dernier FIBD, un jeune Jury a choisi vôtre album parmi les albums finalistes. Entre carnet intime et bande dessinée, en quoi selon vous, l’histoire de cette protagoniste rebelle et combative a séduit les lecteurs ?

Joris Chamblain : Les pots-de-vin en sacs de bonbons que nous avons versés ont visiblement été très efficaces ! Plus sérieusement, il faudrait poser cette question au jury lui-même. Ça fait toujours bizarre de dire de son propre livre « c’est forcément ça et ça qui les a séduit, car c’est formidable ! » Je suppose que l’originalité de la forme leur a plu, peut-être la densité de lecture également. Quant à Cerise elle-même, j’espère que c’est sa bouille adorable et son caractère bien trempé mais à la fois très réel qui les aura séduits.

Nous voulons raconter les aventures d’une petite fille que l’on pourrait croiser tous les jours, le plus sincèrement possible. Ayant travaillé de nombreuses années avec des enfants, je les connais assez bien et sans doute que les lecteurs le ressentent. En tout cas, je suis ravi de constater que garçons et filles arrivent à s’identifier à notre personnage !

Aurélie Neyret : Comme le dit Joris, c'est assez difficile d'imaginer ce qui peut séduire un autre dans son propre travail. Peut être que c'est l'histoire que l'on raconte, dans son ensemble : l'univers, les personnages, ce qui leur arrive, comment ils réagissent, le dessin et le propos, qui leur a plu. J'ai moi-même été touchée par l'histoire et tout ce qu'elle dégageait, à la lecture du scénario, j'essaie donc de retransmettre tout ça, et je suis ravie que ça ait l'air de fonctionner sur d'autres.

L’album appartient à une collection bien précise : Métamorphose des éditions Soleil. Comment avez-vous travaillé tous les deux et avec vos éditeurs pour la composition de ce livre ?

A.N. : Clotilde et Barbara, qui dirigent la collection, sont très investies dans les livres qu'elles font, c'est vraiment agréable de sentir cet intérêt et cette passion commune, surtout quand on passe beaucoup de temps et d'efforts sur un livre comme l'exige la bande dessinée. Que ce soit sur le scénario ou le dessin, Joris et moi travaillons en étant toujours très attentifs aux remarques, idées et envies de l'autre, nous échangeons constamment. Barbara et Clotilde voient ensuite le résultat de cet échange sous la forme du scénario de Joris d'abord, puis de mes pages encrées, puis des pages finales. Elles glissent bien sur des avis ou des conseils tout au long de ce travail, et le résultat n'en est que meilleur. Au bout de 3 tomes (le troisième étant bien entamé), nous savons clairement comment nous fonctionnons, et l'expérience aidant, elles ont de moins en moins à redire.

J.C : C’est une étroite collaboration page après page. Dans un premier temps, j’écris le scénario complet. Une fois qu’Aurélie l’a lu et m’a fait ses premières remarques, c’est au tour de Barbara Canepa et Clotilde Vu (les deux directrices de la collection) de le lire. Clotilde va s’occuper de me faire un retour sur les textes tandis que Barbara va surtout se concentrer sur les planches d’Aurélie.

Aurélie m’envoie les pages une par une et à chaque étape (story-board, encrage, couleur) et je valide et/ou demande des petites corrections à chacune des étapes. Barbara fait un dernier passage de corrections et le tour est joué.

Pour la composition du livre avec cette alternance carnet/bd, elle est née du dossier de présentation que nous avions rédigé sous forme d’un journal intime. Quand il a été question de signer l’album et d’en faire un livre de 72 pages, Barbara nous a demandé d’incruster le journal directement dans la narration. Quelle bonne idée ça a été !

En tout cas, nous sommes très fiers d’avoir intégré cette collection. Nous avons affaire à des amoureuses des beaux livres, qui prennent un soin tout particulier à la fabrication et nous pensons sincèrement que la beauté de l’objet en lui-même a largement contribué au succès de la série. Merci les filles !
 

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"Les Carnets de Cerise" © Joris Chamblain et Aurélie Neyret / Soleil

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Il y a un message que vous vouliez transmettre dans « Les carnets de Cerise » ? À votre avis, la bande dessinée jeunesse a un but précis au-delà de raconter une histoire ? Ou mieux, doit-on tenir compte de règles particulières quand on s’adresse à un jeune public ?

J.C : Plus qu’un message, ce sont des valeurs que je défends à travers l’histoire. Des valeurs toutes bêtes et pas très ambitieuses : la gentillesse, la tendresse, l’écoute. Et je combats le jugement. Avec moins de jugement et plus d’ouverture à l’autre, nous ne nous en porterons que mieux ! Et Aurélie arrive à capter l’intensité des relations entre les personnages et à les retranscrire. C’est magique !

A.N. : Il n'y a pas de message précis, en tout cas pas sous la forme d'une morale. Sans doute quelques idées, des « valeurs » comme dit Joris. Pour ma part j'essaie avec mes dessins, de faire passer ce qui me touche dans l'histoire et dans la vie, une certaine nostalgie, véhiculée par les personnages comme Michel dans le premier tome, le rapport au passé, les relations entre les gens... Mais finalement dans une histoire, chacun trouve ce qu'il veut, ce à quoi il est sensible. Pour moi c'est la sincérité, la profondeur des émotions, les questions qu'on soulève qui comptent, peu importe l'âge du lecteur. Il n'est pas question de considérer les enfants comme des sous-lecteurs, ils peuvent comprendre beaucoup de choses, être émus, donc la règle que l'on s'impose c'est de faire de chouettes livres.

J.C : La bande-dessinée jeunesse, comme tout ouvrage destiné à la jeunesse a, à mon sens, une certaine responsabilité. Il « prépare » l’enfant à l’avenir, il lui montre un champ large des possibles. Quand on écrit pour la jeunesse, on aide l’enfant à grandir et on se doit de le faire dans un contexte rassurant.

Quant aux règles particulières oui, il y en a quelques-unes à respecter. La lecture doit être la plus fluide possible, car un enfant qui accroche sur une case ou qui ne comprend pas un enchainement est souvent un lecteur que l’on perd. Le flux de la narration est capital. Sinon, une règle qu’il serait bon de respecter encore plus, c’est que l’enfant n’est pas un idiot, mais un être sensible et qu’il est en mesure de comprendre des choses fines. Et même s’il ne comprend pas tout, ça viendra au cours de ses relectures.

Est-ce que cet album a des références particulières ? Qu’est-ce qui vous inspire ?

A.N. : Nous étions tous les deux boulimiques de lecture étant enfant, je pense. On a donc pas mal de références en commun, de romans d'aventure, ou d'enquête. Mais au delà de ça, la vie de tous les jours, les petites histoires du réel, des souvenirs d'enfance à la campagne... Mais aussi des images, je suis fan des films des studios Ghibli par exemple. De manière générale, je suis toujours aux aguets, je regarde constamment plein d'images, des photos, des peintures, des films, ou simplement autour de moi, et j'essaie de mémoriser si une ambiance particulière me plait. L'important est de digérer tout ça pour se l'approprier.

J.C : La toute première image du tome 2 fait référence au film Moonrise kingdom, de Wes Andreson. Je crois que nous sommes tous les deux tombés amoureux de ce film ! Sinon, de manière plus générale, il fait référence à ce qui m’inspire : le quotidien. J’aime l’idée de trouver le magique ou le beau dans le quotidien. Même si ça peut paraître naïf parfois, ça fait quand même du bien à la lecture. Et c’est tout ce qui m’importe.

En creusant plus en profondeur, on pourrait trouver des similitudes avec des pans de ma vie, mais en tout cas je raconte forcément des émotions que j’ai déjà ressenties. Ça fait référence à ma vie intérieure, en fait.

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"Les Carnets de Cerise" © Joris Chamblain et Aurélie Neyret / Soleil

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Quel a été votre parcours avant de travailler sur cette série ? Comment vous vous êtes rencontrés ? Et quels sont vos projets futurs ?

J.C : J’ai démarré par 6 années de fanzinat. L’occasion idéale pour fréquenter les salons BD et présenter mon travail aux professionnels et être attentif à leurs conseils. Ensuite, je me suis lancé dans le grand bain via un appel à scénariste pour l’album La recherche d’emploi aux éditions Bac@bd, sorti fin 2010. Deux nouveaux projets furent signés l’année suivante, Les carnets de Cerise chez Soleil et Sorcières sorcières, aux éditions bac@bd.

Notre rencontre s’est d’abord faite par mail. J’avais mon scénario sous le bras et je cherchais quelqu’un qui aurait les épaules et la sensibilité pour un tel projet. En parcourant les blogs, je suis tombé sur celui d’Aurélie et sous le charme de ses illustrations. Un petit mail envoyé, un petit échange et hop ! L’aventure a pu commencer.

A.N. : J'ai commencé par l'illustration, d'ailleurs je n'ai pas arrêté. Avant la BD je travaillais beaucoup plus pour la presse (J'aime Lire, Manon, Je Bouquine, Histoire junior...), et j'ai également illustré des albums jeunesse, par exemple Les Vacances de Monsieur Rhino aux Editions Chocolat !, sur une histoire de Raphael Baud. Juste avant Cerise il y en a eu un autre, mais qui n'est édité qu'aux Etats Unis, Bedtime is canceled. J'avais aussi participé à quelques collectifs de BD, comme par exemple The Antholgy Project, paru au Canada.

Joris a vu mon travail sur internet et m'a contacté avec son scénario. Ce qui est drôle c'est que je ne voulais pas du tout faire d'albums de BD à la base, mais j'ai tellement aimé Cerise, et l'histoire en général, que je me suis retrouvée à dessiner des tomes de 72 pages chacun. Et je m'amuse toujours autant à le faire ! Comme quoi, la vie est bien faite.

J.C : Quant à mes projets futurs, ils sont nombreux ! Déjà, mener au bout « Les carnets de Cerise ». La conclusion de ce premier cycle arrivera avec le tome 5. J’ai un roman-jeunesse qui sort aux éditions Auzou en septembre, qui s’intitulera Furie. Ce sera une histoire de loup-garou. En février 2015, je démarre Enola et les animaux extraordinaires avec Lucile Thibaudier et aux éditions de la Gouttière BD, qui contera les aventures d’une vétérinaire pour animaux fantastiques. Puis en juin 2015, je démarre un trèèès gros projet BD-romans-guides d’activités, intitulé Nanny Mandy, chez Kennes éditions avec Pacotine au dessin, sur les aventures d’une nounou qui, dans chaque tome, aidera un enfant à surmonter une épreuve de la vie.

Et j’ai encore plein d’autres histoires dans mes tiroirs…mais nous en reparlerons ! 

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N’hésitez pas à faire un tour sur leurs blogs pour en savoir plus, Aurélie Neyret et Joris Chamblain  puis retrouvez les interviews précédentes des lauréats de la 41e édition d’Angoulême, Alfred pour son album Come prima Fauve d'Or, Prix du Meilleur Album, Wilfrid Lupano pour son album Ma Réverence Fauve Polar SNCF, Olivier Péru pour la série « Les Elfes » (Prix des Lycées professionnels d’Angoulême).