L’adieu à Didier Comès

Le vendredi 08 mars 2013 à 10h19

L’auteur du mythique Silence vient de nous quitter à 71 ans, juste après avoir participé à la 40e édition du Festival. Emotion.

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© Didier Comès - Casterman

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Nous venons d’apprendre avec une grande tristesse la disparition de Didier Comès, décédé mercredi 6 mars à l’âge de 71 ans. Récompensé à Angoulême dès 1981 par le Prix du meilleur album pour Silence, son plus célèbre livre, Comès venait de voir consacrer un hommage mérité lors de la 40e édition du Festival international de la bande dessinée à travers une exposition de planches originales, À l’ombre du silence. Venu à Angoulême spécialement pour l’occasion, Didier Comès avait également participé à l’une des Rencontres internationales du Festival, au cours de laquelle il avait tenu à dialoguer longuement avec son public, venu en nombre lui redire sa fidélité et son admiration.

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© Didier Comès - Casterman

De son vrai nom Dieter Hermann, Didier Comès était né le 11 décembre 1942 dans les Ardennes belges, à quelques kilomètres seulement de la frontière allemande. Imprégné très tôt des deux cultures francophone et germanique, Comès devait rester marqué, tout au long de sa vie d’artiste, par la terre de ses origines. Cette zone charnière de l’Europe continentale, naturellement placée depuis toujours sur la route des invasions, avait été profondément meurtrie lors des deux grands conflits mondiaux du XXe siècle, ce dont le dessinateur allait témoigner à plusieurs reprises au fil de son œuvre. Les Ardennes belges continuaient par ailleurs à perpétuer l’héritage d’un vieil esprit sorcier venu du fond des âges, dont l’empreinte fantastique devait s’avérer déterminante sur le travail de Comès. Mieux que tout autre, il avait su témoigner en images de cette dimension enchantée et parfois sombre des campagnes ardennaises, à l’unisson des élans profonds du monde paysan.

Dessinateur industriel de profession, Comès s’était lancé dans la bande dessinée au début des années 70, d’abord dans le registre de la science-fiction avec un premier récit d’envergure, Ergünn l’Errant, paru en 1973 dans les pages de l’hebdomadaire Pilote. Assez rapidement, Comès avait infléchi son travail dans une fibre fantastique plus marquée, d’abord avec L’Ombre du corbeau publié dans l’édition belge de Tintin à partir de 1976, mais surtout avec le grand récit qui allait le rendre célèbre : Silence.

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© Didier Comès - Caterman


Prépubliée début 1979 dans (À Suivre), le tout nouveau périodique que venaient de lancer les éditions Casterman un an auparavant, cette bouleversante évocation d’un ouvrier agricole désarmant et mutique allait créer un choc. Personne n’oublierait de sitôt la destinée singulière et tragique de ce simplet lumineux, exploité avec hargne par un paysan prospère du village où il vit. Méprisé par ses semblables mais en empathie profonde avec la nature et ses forces élémentaires, Silence le muet était appelé à une fin en forme d’accomplissement, grâce à l’antique magie de la campagne profonde.

Proposé dans un noir et blanc virtuose, et sur une longueur très inhabituelle pour l’époque (120 planches), ce maître livre, à bien des égards l’un des premiers romans graphiques de l’espace francophone, devait frapper durablement les esprits – et dans la foulée s’imposer comme un considérable succès de librairie.

Propulsé par cette réussite triomphale, Comès allait dès lors, de nombreuses années durant, rester à l’avant-scène de la bande dessinée adulte – quoiqu’avec discrétion et retenue, c’était dans son caractère : à peine plus d’une dizaine de livres au fil de son parcours d’auteur, empreints d’une dimension fantastique aussi tenace que subtile, pour la plupart interprétés dans un noir et blanc irradiant, si intense qu’on l’aurait dit habité. Sa passion du noir et blanc, et sa virtuosité en la matière, l’avaient souvent fait comparer à celui qui était par ailleurs l’un de ses grands amis : Hugo Pratt.

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© Didier Comès - Casterman

Devenu moins présent en librairie dans la dernière partie de sa vie, Didier Comès continuait néanmoins à rallier un public fidèle et nombreux. S’il semblait à chaque fois toucher si juste, c’est qu’il savait comme personne plonger dans les tréfonds de la psyché humaine pour y convoquer les ressorts profonds des êtres, mais aussi et peut-être surtout parce que chacun de ses albums semblait capable de jeter une passerelle, fragile, vers ce monde invisible et premier qui s’étend juste à la marge du réel quotidien, en lisière de nos perceptions immédiates.

Comès racontait en souriant qu’il y a longtemps, un jour de dédicace, l’un de ses admirateurs avait fini par lui avouer sa conviction d’avoir affaire non seulement à un dessinateur, mais plus encore à un « vrai » magicien, dépositaire d’un savoir et d’une vision excédant les capacités de l’humanité ordinaire…

Dans la bande dessinée comme ailleurs, peu de créations savent transcender les publics et les frontières, bousculer les chapelles, enjamber les générations. L’œuvre de Didier Comès, ombres et lumières inextricablement mêlées, est de celles-ci. Nous repensons à lui aujourd’hui avec fierté et tristesse. Fierté d’avoir accompagné, même brièvement, une œuvre majeure. Tristesse de devoir dire adieu à un si grand artiste.