Kazuo Kamimura : l'estampiste du manga
L’art de cet auteur et illustrateur culte des années 1970 est présenté pour la première fois en France. L’œuvre de Kamimura dessine le portrait d’une époque que révèlent près de 150 planches originales exceptionnelles venues spécialement du Japon.
Né en 1940 à Yokosuka, ville portuaire sur la péninsule de Miura, Kazuo Kamimura sort diplômé à 23 ans de la section de design des Beaux-Arts et se fait engager dès sa sortie de l’université, dans une agence de publicité. À peine trois ans plus tard, il bifurque vers la création de manga, registre pour lequel il produira énormément en très peu de temps, avec des pics à plus de 400 planches de manga par mois pendant ses années les plus productives, avant de disparaître prématurément, en 1986, à l’âge de 45 ans. Assistant du maître du manga Osamu Tezuka, Kamimura s’est associé à de grands noms du scénario – Kazuo Koike, Yu Aku ou encore Ikki Kajiwara – quand il n’est pas lui-même le scénariste de ses livres. Sa carrière a véritablement coïncidé avec la croissance de la popularité du gekiga, un genre du manga spécifiquement destiné aux lecteurs adultes qui se définit par ses scénarios sophistiqués et sa mise en scène qui flatte la profondeur psychologique. Ce registre « dramatique », comme le souligne le terme en japonais, a favorisé l’émergence de styles qui conjuguent l’innovation formelle à un réalisme cru, parfois graveleux.
Explorer l’âge d’or du gekiga à travers Kazuo Kamimura, c’est pénétrer une esthétique à la merveilleuse facture rétro, révélant un monde où l’élégance et la sexualité sont bien plus au cœur des préoccupations des auteurs de manga qu’elles ne le sont aujourd’hui. Par la popularité de ses gekiga, Kamimura est devenu une sorte de célébrité. Travaillant dur le jour pour mieux jouir de la nuit, il disparait en léguant à ses innombrables lecteurs une œuvre à l’esthétique unique qui dessine en creux le portrait d’une société japonaise alors encore sous tutelle américaine. Quant à l’épanouissement des femmes dans ce contexte, il est écartelé entre la tradition patriarcale et les promesses de libertés importées avec la société de consommation occidentale. L’impossibilité de cette réalisation dans le sentiment amoureux est le thème central de Lorsque nous vivions ensemble, avec lequel Kamimura connaît le succès dès 1972.
L’année suivante, les trilogies Le fleuve Shinano et Folles passions explorent à nouveau la quête de cette chimère qu’est l’amour véritable, ainsi que Le Club des divorcés et sa description du quotidien d’une femme seule dans la société patriarcale japonaise. Parmi les thèmes constitutifs de l’œuvre du mangaka, la vengeance occupe également une place centrale, corollaire de la passion amoureuse, en particulier grâce au personnage de Lady Snowblood, une jeune meurtrière à la beauté froide partie en croisade dans le Japon du XIXe siècle. Concubinage, passion irrésolue, jeunesse dans la campagne de l’après-guerre… tels sont les tourments intimes que Kamimura traite avec la fougue et l’emphase des auteurs de manga d’action. Parallèlement à son travail de mangaka, Kamimura répond par ailleurs à de très nombreuses commandes d’illustrations parmi lesquelles près de 260 couvertures de magazines qui rejoignent les problématiques et les thèmes abordés dans ses œuvres de fiction.
Cette exposition est une occasion exceptionnelle, pour les amateurs de manga autant que pour le grand public, de découvrir plus de 150 planches et illustrations de Kazuo Kamimura. Exposées pour la première fois en France, elles soulignent la particularité de son style et assoient le talent de cet auteur hors-normes.