Entretien avec l’éditeur de Père et fils, Fauve Patrimoine 2016

Le lundi 10 octobre 2016 à 13h40

Wandrille Leroy, l’éditeur des maisons Vraoum et Warum, nous explique l’incroyable travail de restauration des planches oubliées du chef d’œuvre ressuscité d’Éric Ohser, connu sous le nom d’ E.O. Plauen : "Père et fils", Fauve Patrimoine 2016.

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Salué par le Fauve Patrimoine 2016, Père et fils - Vater und Sohn - L'intégrale, le recueil de strips d’E.O. Plauen, remet en lumière un artiste peu connu en France. Avec des pages entièrement restaurées et un appareil critique fourni, le Grand jury ne s’est pas trompé en récompensant cette œuvre et son éditeur. Nous vous proposons d’en savoir plus sur les origines du projet avec cet entretien inédit.

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Comment avez-vous eu connaissance de ces planches et de son auteur ? Qu'est-ce qui vous a poussé à éditer l'album ?
Wandrille Leroy : Je suis d’abord auteur de strips et, à l’origine, je m’étais un peu (beaucoup) documenté sur les auteurs majeurs du genre… Vu le nombre et la qualité des strips de Plauen, j’en avais donc vu plusieurs sortir dans ma petite recherche et, déjà, ça m’avait marqué à l’époque (c’était il y a une douzaine d’années).
Puis j’ai vécu quatre années à Berlin, ce qui m’a remis régulièrement sous les yeux les multiples éditions de VATER UND SOHN (Père et fils en VO donc). Il faut dire que, si l’œuvre de Plauen est resté longtemps inconnue en France pour des raisons historiques du contexte de publication dans les années 30, en Allemagne, en revanche, c’est une série hyper connue, d’autant plus, peut être, qu’il y a eu peu de choses jusque récemment en bande dessinée allemande.
À partir de là, je me suis mis à rêver d’éditer Vater und Sohn, mais en mode fantasme, pour moi, il était inconcevable que j’arrive un jour à être l’éditeur de cette merveille. Il y aurait forcément plus gros et costaud que Warum pour faire ce livre.
De fait, le Seuil s’y était essayé mais avait arrêté sa production BD à peu près au moment de la sortie du premier recueil sur trois, qui est donc passé assez inaperçu.

Ses strips étaient dans le domaine public ? Comment avez-vous récupéré les originaux pour faire des scans de bonne qualité ?
W.L : Les strips sont tombés dans le domaine public, du coup, quand j’ai appelé l’éditeur originel pour avoir les documents, il m’a conseillé de juste scanner les pages des livres parus… Ce qui était hors de questions.
J’ai donc fait une offre pour acheter les documents… qui étaient des pages vectorisées à partir des scans des publications presse. En effet, l’essentiel des originaux a été détruit dans le bombardement de l’atelier berlinois de Plauen.
Ces scans n’étaient pas de superbe qualité. Ils n’avaient jamais été nettoyés, ni réparés, on devinait ainsi des traces de plis. Sans parler d’une mise en page assez absurde palliée par une numérotation des cases, bien utile parfois tant la mise en page était parfois à contresens de lecture. Tout cela dénotait un manque de connaissance de la lecture BD par l’éditeur originel, ce qui n’est pas étonnant, les codes de la lecture BD ayant beaucoup évolué depuis l’Allemagne des années 30.
La vectorisation du trait est une manœuvre assez violente, mais, par chance, il se trouve que je dessine au vectoriel (avec Illustrator, un logiciel de dessin qui repose uniquement sur ce type de dessin mathématique, à base de point clé et de courbes). Bref, je voyais exactement où le trait avait morflé et ce qu’il fallait faire pour récupérer un résultat un peu sensible, là où la machine avait parfois saccagé le trait.

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© Éditions Warum

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L’édition –saluée par ce Fauve Patrimoine- a fait l’objet d’une attention particulière avec sa restauration, son appareil critique,… Comment avez-vous conçu cet objet ?
W.L : Compte tenu du nombre de sorties que je m’autorise par année, une quinzaine, j’ai passé un temps insensé sur ce livre, mais je ne regrette aucune des nuits passées sur ce projet.
Chaque élément de l’objet a été pensé, depuis le graphisme de la couverture qui devait à la fois refléter l’époque où ces strips ont été créés –L’Allemagne nazie des années 30 – ce qui passait par une typographie référencée et une couleur vert de gris, et la tendresse de l’histoire, avec ce magenta qui apparaît presque fluo tant il contraste avec la couleur du fond.
Évidemment, on a gardé pour cette édition le travail au noir et blanc, mais la question s’est posée d’une illustration couleur pour la couverture, et puis, finalement, non, on est resté cohérent avec l’intérieur.
Un vernis Soft Touch est venu renforcer l’impression de douceur du fond, et un dos toilé a été choisi pour insister sur la part patrimoniale du livre. Il est d’ailleurs particulièrement large, parce que je ne voulais pas imprimer de prix et de code barre sur le bouquin, du coup, en collant un sticker sur la partie toilée, je m’assurais d’avoir un autocollant facilement décollable et qui ne laisserait pas de trace de colle sur le livre.
L’appareil critique existait déjà en ligne, tirée de la revue Germanica, j’ai contacté l’auteur qui nous a autorisés à utiliser son texte et même à le réécrire pour les parties qui le nécessitaient (il détaillait chaque strip, ce qui était devenu inutile vu que tous les strips étaient là).
J’ai demandé une présentation de l’auteur à Dominique Herody, que je savais connaisseur de son œuvre et, enfin, un dessin de l’auteur a été fait par un autre grand fan de Éric Ohser (le vrai nom de EO Plauen), Marc Lizano, qui a depuis scénarisé une reprise du personnage avec Ulf K. au dessin.
Les titres ont souvent été recréés, les titres originels étant en général servilement illustratifs de ce qu’on avait sous les yeux. La traduction était assez facile, mais on a décidé de laisser les titres allemands.
Pour le reste de la traduction, il a fallu être vigilant car, bien que les strips soient muets, l’auteur avait mis beaucoup de textes dans les décors. J’ai ainsi pu élaborer deux fontes de caractères complètes à partir des textes de l’auteur, ce qui m’a permis de refaire des textes en Français avec le dessin originel.
Il y a eu des petites surprises aussi quand je me suis aperçu que Plauen avait glissé de l’écriture Sütterlin, une écriture cursive développée dans l’entre-deux guerre et que personne ne sait plus trop lire maintenant… Alors quand il a fallu traduire ça, tout entouré comme il se doit de personnes bien plus bilingues que je ne suis, ça a été coton … Heureusement, l’édition allemande avait, dans ses annexes, fourni des traductions…
Bon je crois que je suis rentré dans beaucoup trop de détails, mais je crois qu’on comprendra que ce livre me tenait fort à cœur et que je n’ai pas laissé grand-chose au hasard.
Le principal avantage d’un livre tombé dans le domaine public est que tu peux faire ce que tu veux avec, parfois pour le pire d’ailleurs, j’espère qu’on a œuvré pour le meilleur.

Après ce succès, prévoyez-vous de sortir d’autres choses de cet auteur ? Comme ses illustrations de Kipling ou ses caricatures ?
W.L : Je n’ai pas de désir monographique pour l’œuvre de Plauen… Warum fait de la BD, pas de l’illustration, toute talentueuse quelle soit. On laissera ça à des éditeurs qui le feront mieux que nous, parce que ce sera leur sujet.
La question d’éditer la suite réalisée par Marc Lizano et Ulf K s’est posée, mais je ne souhaitais pas exploiter Vater und Sohn comme une marque. Ce qu’ils ont fait est très bien, mais ça n’était pas ce que je comptais éditer, donc j’ai préféré que ça se fasse ailleurs.
Vater und Sohn, nous avons tout de même une ou deux idées pour toucher encore plus de gens, et notamment le public jeune qui est un peu mis à l’écart par le côté « beau livre » du recueil, un peu trop beau du coup. Certains copains se sont fait piquer leur Vater und Sohn par leurs enfants de 4 à 7 ans qui ont déjà tout gribouillé, du coup, on va tenter de faire une édition qui touchera ce lectorat-là, sans risque que l’enfant s’assomme avec le pavé de l’intégrale.

Cette ouverture au patrimoine chez Warum est une nouvelle piste ou cela reste un coup de cœur ?
W.L : Pour le moment, Warum n’a pas du tout vocation à faire du patrimoine. Si un autre livre oublié réussit à déclencher une envie similaire, pourquoi pas, mais, après le prix, beaucoup d’auteurs sont venus me proposer de rééditer leurs souvenirs d’enfance… Mais je ne suis pas l’éditeur des nostalgiques. En général, on travaille avec des auteurs inconnus dont on révèle le talent avec le premier livre.
Le seul dénominateur commun de tous nos livres, c’est le talent de leurs auteurs, pas l’époque où ils l’ont écrit.
Après ma petite danse de la victoire sur scène, j’étais un peu ému, ce qui fait que je n’ai pas pu placer la phrase suivante :
« Oui, on est content d’avoir le prix Patrimoine. Mais, maintenant qu’on l’a eu ce prix, on veut les autres. »
On se revoit sur la scène fin janvier ?

Pour plus d'infos, visitez le site des éditions Warum.
Et vous pouvez lire quelques planches de l’album ici.

Découvrez ici le palmarès officiel du 43e Festival International de la Bande Dessinée

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