Gus Bofa, l’adieu aux armes

Dessinateur de génie nourri par les horreurs du XXe siècle, Gus Bofa (1883-1968) signe une oeuvre aussi originale que secrète. Une exposition monographique parcourt 50 ans de création et rend hommage au talent de ce créateur polymorphe.

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© Gus-Bofa - Cornelius

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En écho aux commémorations de la guerre de 14-18, l’exposition « Gus Bofa, l’adieu aux armes » rend hommage au talent d’un artiste aussi singulier que méconnu, et choisit d’éclairer son travail en mettant en avant la part que tiennent la guerre et le métier des armes dans l’oeuvre de ce fils et petit-fils de militaire, antimilitariste et pacifiste, témoin de deux conflits mondiaux. 

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© Gus-Bofa - Cornelius

Jeune homme sportif, affichiste et publiciste renommé sous le nom de Gus Bofa, Gustave Blanchot est mobilisé, en 1914, à 31 ans comme simple soldat d’infanterie. Il répond sans hésiter à l’appel, poussé par la « curiosité un peu malsaine pour un jeu inconnu, vers quoi s’était tournée toute mon enfance, et une autre curiosité, plus intime, de savoir comment mon bonhomme intérieur allait réagir aux émotions et aux accidents de ce jeu dangereux. »
Après cinq mois de campagne, il est très grièvement blessé. Refusant de laisser les chirurgiens lui couper la jambe, il passe un an d’hôpital en hôpital. En 1916, il rentre chez lui réduit « à l’état de mutilé translucide et décoloré ». En 1917, quoique invalide à 65 %, il réapprend à marcher puis, rangeant dans un tiroir la croix de guerre et la médaille militaire que lui a values sa conduite au feu, recommence à boxer et à dessiner. Il se consacrera désormais à la lecture, à l’écriture et au dessin. Décidé à ne plus s’encombrer des conventions sociales et artistiques, il se forge une morale stoïque qu’il résume en une devise, « On verra bien », et une profession de foi : « Libre ? Mais oui, dans les limites exactes de votre petite cage. Et seul ? Bien entendu. » Après avoir vainement tenté d’exorciser le traumatisme de 1914 avec deux pamphlets cinglants, Chez les Toubibs (1917) et Le Livre de la Guerre de Cent Ans (1921), et un roman de guerre, Rollmops, ou le Dieu assis (1919), Bofa continue, en marge des livres qu’il illustre (Le Train de 8 H 47, Don Quichotte, Candide ou les Fables de La Fontaine, parmi beaucoup d’autres), à dessiner les petits malheurs et grandes misères des soldats, improvisés ou professionnels.
 

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© Gus-Bofa - Cornelius

L’homme qui, enfant, rêvait de devenir un brillant officier de cavalerie, porte sur toutes les guerres, celles d’hier comme celles de demain, un regard lucide et désabusé. Sa réflexion se fait plus sombre et désespérée au fil des années 30, pour culminer, en pleine guerre d’Espagne, avec La Symphonie de la Peur (1937). Inexplicablement tombé dans l’anonymat en dépit du travail éditorial accompli depuis des années par les éditions Cornélius autour de son oeuvre, et malgré l’admiration inconditionnelle que lui portent nombre d’auteurs de bande dessinée (Blutch, Nicolas de Crécy ou Tardi lui-même, fidèle de toujours, l’ont souvent cité comme l’une de leurs références majeures), Gus Bofa revient dans l’actualité avec l’exposition que lui consacre le Festival d’Angoulême. Adossée à la parution chez Cornélius d’une biographie consacrée au dessinateur (Gus Bofa, l’enchanteur désenchanté d’Emmanuel Pollaud-Dulian, qui assure logiquement le commissariat de l’exposition), ce parcours monographique explore les diverses facettes de l’oeuvre de Bofa, de la Belle Époque, au cours de laquelle il s’est déjà forgé un nom dans la presse satirique, aux années cinquante. Dessins de presse, albums personnels, livres illustrés, eaux-fortes, phototypies, couvertures de journaux, originaux ou reproductions… Grâce aux archives familiales des héritiers du dessinateur, ouvertes avec générosité à l’occasion de cette exposition, on découvre avec bonheur les multiples expressions d’un talent graphique exceptionnel – dont une part d’inédits encore jamais exposés – qu’accompagnent et commentent des textes de l’artiste. Gus Bofa relancé en pleine lumière en ouverture des commémorations de la Grande Guerre, un comble pour cet ancien protagoniste de ce qu’il avait rebaptisé « la Grande Farce », observateur acide etintransigeant d’une humanité décidément désespérante… Mais peut-être aussi, enfin, le retour en grâce inespéré d’un surdoué du dessin. On verra bien.
 

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Exposition Gus Bofa, l’adieu aux armes
Site Castro, 121, rue de Bordeaux • du jeudi 30 janvier au dimanche 2 février 2014, 10 h/19 h
Production : 9eArt+ • Commissariat : Emmanuel Pollaud-Dulian
Graphisme et scénographie : Hughes Bernard et Jean-Louis Gauthey